top of page

LA BELLE ÉTOILE

par Bruno Sevaistre

Mes premiers émois professionnels furent sur une falaise des gorges du Verdon, en 1991, lorsque suspendu dans le vide, je filmais l’ascension d’une voie en solo intégral par Alain Robert, celui qui deviendrait plus tard « le Spiderman français ». C’était la première fois que, dans l’œilleton de ma caméra, je voyais un grimpeur de haut niveau défier la mort en escaladant sans cordes à 250 mètres du sol. J’en suis resté marqué à vie.

 

L’idée de savoir comment placer sa caméra, trouver la bonne distance, m’a alors obsédé. Elle fut d’abord lointaine en filmant les concurrents du Paris-Dakar ou ceux du Rallye raid Paris-Moscou-Pékin à bord d’un hélicoptère, les pieds sur le patin. Et puis, plus courte en réglant mon pas sur les athlètes du Raid Gauloises, de la Nouvelle-Calédonie jusqu’en Patagonie en passant par le Lesotho, à pied, en canoë, en VTT.

 

Je me suis alors définitivement intéressé au sportif plutôt qu’à la discipline sportive. Il me fallait raconter des histoires plutôt que des performances. Me concentrer sur le côté affectif, intellectuel des athlètes. Car oui, « le sportif est un intellectuel du corps » comme le disait le comédien Jean-Louis Barrault. 

 

Voilà une trentaine d’années que je raconte des histoires d’Hommes, caméra au poing. Un long parcours qui m’a amené à réaliser des documentaires sur le sport avec toujours le même désir, celui de filmer des hommes et des femmes au plus près de ce qu’ils sont, sans artifices ni mise en scène. Guidé par ma bonne étoile, je me suis autorisé à réaliser, oser et à vivre, me rendant disponible à l’inattendu.

 

Le tournage en immersion est vite devenu pour moi un terrain de jeu où je pouvais trouver cette vérité que seul le réel peut laisser transparaitre lorsque l’on se donne la peine et le temps de vouloir le saisir. Prendre le temps pour avoir le temps de ne pas avoir la matière qu’il faut. Avoir la patience du cinéaste animalier. Être dos au terrain. Dans le vestiaire plutôt que sur la pelouse.

 

C’est comme cela que je me suis glissé dans les coulisses des Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996 pour Canal+ avec, comme souvenir tatoué au cœur, le record du monde de Michael Johnson et ses souliers d’or. Une étoile filante… Deux ans plus tard, je commençais à raconter le parcours d’apprentis-footballeurs à l’Institut National du football. Un tournage de trois ans pour la série de 16 x 26 minutes, « A la Clairefontaine », toujours pour Canal+, dans la foulée de « Les Yeux dans les Bleus » que je venais de produire avec mes associés de 2p2L. Ce fut le déclic. 

 

Le sport est mouvement, une source pure de dramaturgie. La dramaturgie du mouvement associé au conflit des Hommes, la compétition, la victoire à tout prix, les limites repoussées. Ce sont tous ces ressorts qui nourrissent la matière première qui donne vie aux personnages dans un récit documentaire. C’est ce que j’essayé d’explorer dans mon travail de producteur avec les séries sur les futurs pilotes de course de F1, les rugbymen prometteurs du Pôle France à Marcoussis ou les Diambars, les jeunes guerriers du foot africain.

 

Parmi toutes les rencontres que j’ai pu faire, j’ai eu la chance d’accompagner plusieurs sportifs de haut niveau mais je retiens surtout mes expériences avec les joueurs de l’équipe de France de tennis lors de la dernière Coupe Davis, le pilote de Formule 1 Romain Grosjean et le footballeur international Hatem Ben Arfa ou encore la navigatrice Marie tabarly. Des portraits intimes tournés en immersion totale et qui m’ont permis de construire des récits autour de la notion d’effort, la gestion du stress, la névrose de l’échec et bien d’autres aspects qui façonnent la vie des sportifs d’exception. Les belles étoiles.

 

Les gens ont toujours été fascinés par les observations du ciel étoilé. Pendant des milliers d'années, les étoiles ont servi de guides, et même à cette époque moderne et technologique, nous les voyons toujours de cette façon. Les marins les ont utilisés pour déterminer les positions de navigation du navire et les astronautes pour l'orientation des satellites dans l'espace. C'est peut-être ainsi que nous pouvons trouver notre chemin dans le monde, la manière dont nous pouvons trouver notre lumière intérieure.

​

Avec « La belle étoile », l’occasion m’est ainsi donnée de poursuivre mon travail de raconteur d’histoires. Et comme j’ai toujours préféré privilégier l’homme à la fonction, l’humain au décorum, le cadre est idéal. Des personnalités fortes, des enjeux, du sport, des régions, une âme, une Histoire, une ferveur, de l’émotion brute. Ce sont ces valeurs, d’exigence et d’excellence sportive et humaine, d’esprit d’équipe, de convivialité et d’émotions qu’il me parait intéressant de mettre en exergue. Le sport est une école de fraternité, d’union entre les hommes. Pour se définir dans l’idéal tout simplement. 

 

Une chose est sûre, je ne souhaite pas de contenus institutionnels. Encore moins du publi-reportage. Je ne souhaite pas non plus faire une vaine tentative de contenus lisses et sans aspérités. Des films à la gloire de… Trop de projets de ce genre voient le jour sur les plateformes de streaming où il suffit de tendre un micro et filmer quelques images d’intimité pour prétendre à l’objectivité sans failles. Au contraire, je revendique une subjectivité. Un regard. Celui qui permet, en tant que témoin et non comme acteur, de retranscrire une vision du monde qui n’explique pas les choses mais contribue à les faire ressentir.

 

« Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ». Pour accompagner ce projet ambitieux autour des sportifs de haut niveau, je souhaite avoir ce courage décrit par Jean Jaurès et, fidèle à ma démarche, recentrer l’humain au cœur de ces belles histoires qui ne demandent qu’à être racontée. 

bottom of page